La Seigneurie De La Mare
Les moulins Del'mar (1)


Après l'inauguration du cimetière, il serait bon et instructif de donner quelques notions historiques sur la Mare où se trouve établi notre nouveau cimetière (Inauguration du nouveau cimetière le 6 octobre 1935).

L'ancienne seigneurie de la Mare, qui remonte au XIème siècle, est aussi vieille que la fondation de la collégiale de Lille. Elle s'étendait sur Flers, Wasquehal, Marcq-en-Barœul et Mons-en-Barœul. On parle de la mare pour la première fois, en 1066, dans un acte qui énumérait les fondations du chapitre de Saint-Pierre, à Lille.

Le chapitre y percevait certains droits : sur 16 bonniers, le tiers d'un demi-bonnier, et était représenté par un maire. Cette seigneurie comprenait aussi la cense de la Pilaterie, qui figure sur les cartes, ainsi que le moulin de « le Marre ».

Le nom de famille Delemarre, si commun dans le pays de Lille, semble venir des colons de ce fief. Dans les anciens comptes du chapitre, les censitaires du fief portent ce même nom De le Mare.

On voit, par exemple, dans les comptes de l'année 1279, qu'au mois d'octobre, à la mort de Guillaume Strabon, Guillaume De le Mare devait solder 6 havots de blé, 6 havots d'avoine et deux sols et demi. De même, Arnold De le Mare, 3 havots de blé, 3 havots d'avoine et 15 deniers. De même, Reine De le Mare, une rasière de blé.

A la mort de Renald, chanoine de Lille et trésorier de Reims, les habitants de la Mare ont payé 6 rasières de blé, 6 chapons et 12 deniers.

Voici encore d'autres noms parmi les habitants de la Mare : Henri Agache, Mathieu de le Mare, Roger De le Mare, Béatrice li Acheme, Magha De Croix, Jean de le Mare, Guillaume de le Mare, dit le borgne, Olivier de le Mare, Magha de le Mare, Walter de le Mare, Guillaume de le Mare.

On voit, par ces documents très anciens, que la Mare était une des vieilles seigneuries du pays et qu'il y avait déjà, à cette époque, sur ce monticule, un moulin à vent.

Les moulins à vent, on le sait, nous viennent de l'Orient ; c'est pourquoi ils portèrent le nom de « Turquois ». Ils commencèrent à être en usage en France à la suite des Croisades, vers le XIIème siècle. Le plus ancien moulin signalé dans notre région existait à Loos, en 1227. Quinze ans après, il y en avait déjà un certain nombre sur la plaine de Lille, dont celui de la Mare.

Une communication de M. le baron P. de Mouveaux nous dit que le fief « de quart de quint » à Flers (Bourg) était longé par le chemin de Lille à Lannoy et par celui de Flers au moulin de la Marre. (Acte de la bibliothèque communale de Lille en 1444). On peut voir, dans un acte de partage de la famille Pierre SALEMBIER et Philippotte DELAOUTRE, de Wasquehal, en 1672, qu'on y marque la situation d'une terre « haboutans, de couchant, au chemin menant du moulin de le Marre à Lobel à Marcque »

Ce moulin s'est donc perpétué à la Mare depuis des siècles.

Nous avons dit que la Seigneurie de la Mare était aussi ancienne que le Chapitre de Saint-Pierre de Lille, puisque cette seigneurie était citée dans l’acte même de la fondation du chapitre en 1066.

La continuité de cette seigneurie et du Moulin de la Mare a été prouvée également par des actes de 1444, et de 1672, actes dont nous aurions pu allonger la, liste jusqu'à la Révolution Française.

Nous arrivons maintenant à l'époque moderne et voyons quelle a été l'existence du moulin de la Mare et du quartier, depuis plus de cent ans.

Après la Révolution, la ferme et le moulin de la Mare, appartenaient à la famille Jean-Baptiste SALEMBIER, fils de Francois-Joseph et de Marie Joseph DESMETTRE. Jean-Baptiste SALEMBIER se maria à Flers, le 2 décembre 1819, avec Henriette BONTE.

Cette petite ferme et le moulin de la Mare comprenait tout le quartier, depuis le cabaret « le moulin Delmar » jusqu'au numéro 46 de la même rue. Les deux numéros 50 et 52 constituaient le corps de logis de la ferme. Le moulin de la Mare s'élevait dans le jardin du numéro 46, maison habitée actuellement par Mme Veuve NOLLET et sa sœur.

Ce moulin était construit sur un terrain d’une contenance de 33 ares, 75 centiares, et 90 milliares.

On voit encore derrière le cabaret, l'écurie qui pouvait contenir 7 à 8 chevaux nécessaires pour la meunerie et la ferme.

Mais les parents SALEMBIER-BONTE ne devaient pas vivre longtemps. Ils moururent, la mère en 1837 et le père en 1838.

Leurs six enfants devinrent orphelins quand l'ainée, Céline, avait à peine 18 ans. Leur tuteur fut Henri-Désiré-Joseph SALEMBIER, cultivateur à Hellemmes et oncle des six enfants. Ce fut lui qui continua l'exploitation de la ferme et des deux moulins.

Si l'entreprise a eu d'heureux résultats, ils sont dûs en grande partie à l'activité, à la vigilance et aux soins de Céline. Aussi, d'un commun accord le tuteur et tous les membres du Conseil de famille demandèrent-ils au juge de paix d'avancer l'émancipation de Céline, afin qu'elle puisse diriger seule la ferme et la meunerie. Tous connaissant la maturité d'esprit, l'activité et, le courage de Céline, n'hésitèrent pas à adopter cette résolution.

I1 faut croire aussi que cette vaillante jeune fille qui servait également de mère à ses frères et sœurs était, aidée dans l’exploitation de la meunerie par des ouvriers consciencieux qui veillaient sur les intérêts de la maison, comme sur les leurs. Tel le « grand Cho » dont on parlera plus loin, qui disait « je ne suis pas content de ma journée, quand je n'ai pas gagné celle de mon patron. »

Avec cette collaboration consciencieuse des patrons et des ouvriers, l'entreprise devait continuer et prospérer pour le plus grand avantage de tous.

Céline se maria plus tard avec Jean-Baptiste LIENARD qui fut maire de Flers. Joséphine, la seconde, se maria avec Victor CORNIL, cultivateur à Lomme, Henriette se maria avec Louis MULLIEZ, marchand de grains, à Hellemmes.

Les trois jeunes garçons Jean-Baptiste, Henri et Louis furent placés, après quelques années à la tète de l'exploitation qui ne fit que prospérer (2).

Tous trois se marièrent honorablement, Jean-Baptiste-Désiré (1825-1893) épousa Elisa THERY. Ils furent meuniers et en même temps boulangers à Flers. Plus tard, Jean-Baptiste se retira de la société de la meunerie de la Mare pour acquérir et diriger le moulin de Marchenelle.

Henri-Edmond (1826-1893) épousa Césarine VROMAN et ils s'installèrent tous deux, au moulin de la Mare, à la ferme des parents. Sa fille s'est mariée avec M. Victor DEMARCQ, de Lille (Saint-Maurice).

Louis (1828-1864) épousa Rosalie DELESALLE. Il fut associé avec son frère Henri-Edmond, jusqu'à sa mort arrivée en 1864.

CONSTRUCTION D'UN SECOND MOULIN AU VENT

La firme SALEMBIER ne fit que se développer avec les années. Déjà les époux SALEMBIER-BONTE avaient fait construire avec les deniers de la communauté, un second moulin à moudre blé sur une pièce de terre qui leur appartenait. C'était le moulin au vent de Mons-en-Barœul placé dans un endroit découvert, en plein vent, derrière le moulin à vapeur dont il sera parlé plus loin.

Pour la construction de ce deuxième moulin au vent, les époux SALEMBIER-BONTE empruntèrent une Somme de 5.000 francs a Mme DROULERS, le 4 avril 1827.

Ce moulin au vent appartenait donc, par moitié, à Madame DROULERS, qui, en sa qualité de parente et d'amie a toujours protégé avec ses fils, Florentin et Louis, les constructions nouvelles et les agrandissements, successifs de cette famine nombreuse et intéressante.

Les frères SALEMBIER, par suite d'une société verbale existant entre eux, pour le commerce de meunerie ont exploité en commun la ferme de la Mare et les deux moulins au vent.

MOULIN A EAU A WASQUEHAL

La société SALEMBIER, frères, ajouta encore un autre moulin qui, pour varier sans doute, fut un moulin à eau établi à Wasquehal sur la Marque.

Mais ce moulin joua quelquefois de vilains tours à ses propriétaires ; car il arrivait que les eaux montant parfois trop vite par suite de pluies persistantes causaient aux voisins des dommages qui devaient être réparés aux frais de la meunerie.

MOULIN A VAPEUR

Ce moulin vapeur a été construit devant le moulin au vent de Mons-en-Barœul. Ce moulin à vapeur est maintenant transformé en une maison habitée par Madame JANSEN et son fils. Cette habitation isolée se trouve à droite sur la route du nouveau cimetière en sortant de l’agglomération à cent mètres de la rue Daubresse.

Ce moulin à vapeur fut installé avec tous les progrès modernes : une machine à vapeur de la force de 45 chevaux, avec bâches, tuyaux, soupape, manomètre, grilles et plaques de fourneaux une machine à vapeur de haute pression de la force de 14 chevaux avec condensateur, deux potences à lever les meules, quatre paires de meules. Le tout d'une valeur global de 17.000 francs.

Pour décharger les sacs de blé et charger ensuite les farines provenant du moulin à vapeur et du moulin au vent, les chariots passaient sur le côté droit du moulin à vapeur. Il y avait là, et il y a encore maintenant, une fenêtre fermée par une persienne. Les sacs étaient montés ou descendus par un treuil. Au besoin, pour compléter leur chargement, les chariots passaient à côté du moulin au vent, situé à proximité, et chargeaient ou déchargeaient leurs marchandises.

Les chevaux faisaient ensuite le tour du moulin à vapeur et arrivaient à la route de Roubaix.

Du côté gauche de ce moulin à vapeur se trouvait une seconde écurie pour huit chevaux. La première était toujours à la ferme du moulin la Mare, pour 7 à 8 chevaux.

Ainsi, le vent, l’eau, la vapeur devaient contribuer ensemble à la prospérité de ce qu’on appelait les moulins de la Mare, comme à la renommée de cet ancien fief.
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Les anciens se rappellent les équipages de la meunerie SALEMBIER.

Et d'abord, d'immenses chariots qui pouvaient contenir chacun 8.000 k. de blé ou de farine. Cinq chevaux étaient attelés à chacun de ces chariots.

Et c'étaient les chevaux les plus fougueux et les plus revêches des environs. Quand il y avait un cheval rétif il était acheté par la meunerie et marchant devant les lourds chariots avec ses congénères, il apprenait à être mâté et dressé.

Il fallait voir avec quelle dextérités « le grand Cho », comme on appelait, alors, le conducteur, faisait marcher son équipage avec sa « clachoire » qui dominait la tête des chevaux.

Le pavé de Lille à Roubaix était alors à peine suffisant pour une voiture, et il fallait la place large, toute la place, pour les équipages. « du grand Cho ».

La meunerie livrait les farines au Bureau de Bienfaisance de Lille, l'Hospice général, chez les boulangers et les particuliers de Roubaix et des environs.

Comment ont péri les deux moulins au vent de la Mare ? Comme pour tous les moulins de bois, ils ont été concurrencés et finalement supplantés vers 1885, par les moulins à vapeur.


Bulletins Paroissiaux de Mons-en-Barœul du 12/1935 et du 01/1936

(1) C'est évidemment par un abus de langage qu'on nomme cet endroit le « Moulin Delmar ». La seigneurie où ce moulin a été établi s'est toujours « appelée de la Mare ». Dans les actes avant la Révolution, on parlait du Moulin de la Mare où de le Mare. C’est après la Révolution qu'on s'est habituée à le désigner, en patois, sous le nom de Moulin Delmar. Mais il serait préférable et plus conforme aux sources historiques de lui donner son vrai nom : Moulin de la Mare, puisque cette seigneurie a toujours été dénommée « La Mare » depuis des siècles.

(2) Toute cette famille était apparentée avec les familles, SALEMBIER-TELLIER, SALEMBIER-DUTHOIT, DELOBEL-SALEMBIER, DELATTRE-SALEMBIER, DUHAMEL-SALEMBIER etc...

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