Jurisprudence de la cour impériale de Douai, ..., Volume 14
Concernant les enfants de WARGNY Ignace Joseph et de Lucie Joseph POUTRAIN
et les enfants du 2ème mariage avec Ghislaine Sabine LEBLAN
La dame Lucie Joseph POUTRAIN a épousé en 1809 le sieur Ignace Joseph WARGNY ; le régime de la communauté avait été adopté par les époux.
Durant la communauté, par acte en date du 30 novembre 1812, les époux WARGNY-POUTRAIN ont aliéné 6 hectares 47 ares de terres, propres à la femme, et situés au terroir de Croisilles ; le prix stipulé au contrat, payé comptant, a été de 8,500 fr.
Aux termes de différents actes, les même époux ont, durant leur communauté, acheté de nombreux et importants immeubles sur le terroir de Fresnes, sans qu’aucune déclaration de remploi ait été faite au nom de la femme et dans son intérêt.
La dame WARGNY-POUTRAIN est décédée à Fresnes le 4 août 1824, laissant son mari commun en biens et six enfants issus de son mariage.
Le sieur WARGNY, époux survivant, n’a d’abord fait dresser aucun inventaire ; il n’a non plus procédé à aucune liquidation, soit de sa communauté, soit de la succession de son épouse.
Il a convolé en secondes noces avec la dame Ghislaine Sabine LEBLAN.
Le 20 septembre 1826, seulement, il a fait dresser un inventaire de sa première communauté er de la succession de la dame POUTRAIN, sa première épouse, cet inventaire constate qu’il n’existait ni argent comptant, ni créances actives ; que les objets mobiliers proprement dits, meubles meublants, instruments aratoires, bestiaux, récoltes, etc., étaient d’une valeur totale de 3,874 fr. ; mais qu’il existait 12,000 fr. de dettes.
Le sieur Ignace Joseph WARGNY est décédé à Fresnes le 20 mai 1854, laissant son épouse en secondes noces commune en biens, et pour héritiers les enfants issus de son premier mariage et ceux issus de son second mariage.
Le 17 juin 1854, les enfants WARGNY, du premier lit, ont assigné la dame Ghislaine Sabine LEBLAN, veuve en secondes noces du sieur WARGNY, et les enfants WARGNY du deuxième lit, devant le Tribunal de Valenciennes, en liquidation et partage, tant de la communauté ayant existé entre Ignace Joseph WARGNY et la dame Lucie Joseph POUTRAIN, tous deux décédés, que de la succession de chacun d’eux, comme aussi de la communauté qui avait existé entre le sieur WARGNY et son épouse de second mariage, la dame LEBLAN.
Par jugement en date du 19 juillet 1854, le Tribunal de Valenciennes fit droit à cette demande, et renvoya les parties devant Me MENTION, notaire à Condé, commis pour procéder aux opérations de la liquidation.
devant le notaire, les demandeurs, en leur qualité d’héritiers de la dame POUTRAIN, leur mère, prétendirent que, puisqu’il n’existait dans la communauté, ainsi que le constatait l’inventaire de 1826, ni argent comptant, ni créances, ni mobilier, les reprises ; revenant à la succession de la dite dame POUTRAIN, pour raison de ses propres aliénés, devaient être exercées en nature, par voie de prélèvement, sur les immeubles de la communauté, et en prenant pour base l’estimation desdits immeubles suivant leur valeur en 1824, époque de la dissolution de la communauté.
Les défendeurs résistèrent à cette prétention ; ils consentaient à ce que les héritiers de la dame WARGNY-POUTRAIN prissent, sur l’avoir de la première communauté, des biens d’une valeur égale au prix des biens aliénés, mais à la condition formelle que ces biens, donnés in solutum, fussent pris sur leur valeur actuelle, puisque c’était actuellement que le prix devait être payé.
D’autres difficultés divisaient encore les parties.
elles furent renvoyées à l’audience, et le Tribunal de Valenciennes, à la date du 27 juillet 1855, rendit le jugement suivant :
JUGEMENT.
- Sur le premier point des conclusions des demandeurs, relatif aux reprises de Lucie POUTRAIN dans la communauté d’entre elle et son mari Ignace WARGNY :
- Considérant que la dame POUTRAIN-WARGNY, mariée en 1809, a, pendant la communauté, avec l’autorisation maritale, vendu en 1812, l’un de ses propres moyennant le prix de 8,500 francs :
- Qu’aux termes de l’art. 1470 C. Nap., à défaut de mobilier, cette femme ou ses héritiers ont le droit incontestable de choisir, à titre de prélèvement, dans les biens de la communauté, un immeuble d’un prix égal, soit 8500 francs ;
- Qu’une seule difficulté divise les parties : celle de savoir si, comme les demandeurs le prétendent, l’immeuble à choisir par les héritiers de la dame POUTRAIN-WARGNY doit être estimé, non pas selon le prix actuel des propriétés, mais en remontant à l’époque de la dissolution de la communauté, c’est-à-dire au 4 août 1824, date du décès de ladite dame POUTRAIN-Wargny ;
- Considérant que cette difficulté ne peut et ne doit ici se résoudre que par les simples règles du bon sens et de l’équité ;
- Que la raison, d’accord avec l’usage, indique que la liquidation d’une communauté ne peut être faite qu’en prenant pour base des opérations l’imprtance des biens qui la composent, leur valeur réelle lors du règlement des droits respectifs des parties ;
- Considérant que les héritiers de la dame POUTRAIN-WARGNY ne peuvent, en droit comme en fait, être réputés propriétaires d’une manière exclusive et irrévocable, à leurs risques et périls, de tel ou tel autre immeuble de la communauté, sans, au préalable, avoir fait connaître leur choix spécial ;
- Que l’estimation de la valeur du bien qu’ils peuvent choisir à titre de prélèvement doit donc être faite sur une base commune au règlement général des droits de tous les intéressés, c’est-à-dire en prenant pour base de toutes les opérations la valeur actuelle des immeubles de cette communauté ;
- Considérant d’ailleurs que la difficulté qui divise les parties est vraiment plus apparente que réelle ; car l’équité, qui s’oppose à des évaluations exceptionnelles dans l’intérêt ou les convenances particulières de l’un des co-intéressés au préjudice des autres, permettrait évidemment aux défendeurs d’adopter, pour même base commune des estimations, la valeur des immeubles, en remontant, en conformité du système des héritiers POUTRAIN-WARGNY, à l’époque de la dissolution de la communauté, au 4 août 1824, à plus de trente années ; ce qui, en fait, avec de nombreux frais et embarras de plus, conduirait pour tous au même résultat définitif ;
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Sur le troisième point : rapport de 800 fr. pour aliénation de deux pièces de terre :
- Considérant que cette réclamation des demandeurs n’est nullement justifiée ;
- Par ces motifs :
- Le Tribunal…… dit que l’immeuble qu’il plaira aux héritiers de la dame WARGNY-POUTRAIN de choisir à titre de prélèvement, en récompense des 8,500 fr., prix d’un propre aliéné, sera estimé selon la valeur actuelle des propriétés ;
- Dit non justifiée la réclamation des demandeurs en remboursement de 800 francs pour aliénation d’immeubles ; les en déboute, etc.
Appel par les sieurs WARGNY, héritiers de la dame WARGNY-POUTRAIN.
Au soutien de leur appel, on disait : Les appelants ont accepté la communauté ; d’un autre coté, ils ne procèdent qu’adversativement au mari ou aux héritiers de celui-ci ; dans celte double situation, et alors qu'il n'existe dans la communauté que des valeurs immobilières, le droit de prélèvement constitue un véritable droit de propriété, remontant au jour de la dissolution de la communauté. Ce droit de propriété résulte à l'évidence, pour ces cas, des art. 1470, 1471, 1472, 1476 et 883 C. Nap. La quotité de ce droit dépendant du rapport entre la somme pour laquelle le prélèvement est effectué, et la valeur de la masse des biens, cette valeur doit être nécessairement déterminée au jour où le droit s'est ouvert, et non pas à trente années de distance ; les appelants, en effet, ont été, dès 1824, co-propriétaires des immeubles à concurrence de leur prélèvement et de leur part dans le résidu ; si, par exemple, le prélèvement représentait le tiers des immeubles, les appelants ont eu, dès 1824, droit à deux tiers, un tiers pour prélèvement, un tiers pour part commune dans le résidu. Cette propriété a été pleine, entière et absolue, de façon telle que les immeubles n'ont plus pu être utilement hypothéqués ou aliénés au préjudice des appelants. C'est donc selon la valeur de 1824 qu'il faut régler leur quote-part, à moins de nier le droit de propriété existant à leur profit dès la dissolution de la communauté. C'est ainsi ; d'ailleurs, qu'il est procédé en toutes hypothèses identiques ou corrélatives : ainsi, la quotité disponible, la part contributive aux dettes se déterminent et doivent se déterminer d'après la valeur dès biens au moment où le droit s'est ouvert, et nullement d'après cette valeur, trente ans plus tard. Enfin, l'équité proteste au plus haut degré en faveur de cette prétention : si les biens des appelants n'avaient pas été aliénés en 1812 pour être remplacés en conquêts, ceux-ci posséderaient aujourd'hui 6 hectares 47 ares, valant, à 4,000 fr. l'hectare, 25,880 francs. Si l'on avait liquidé en 1824 , les appelants eussent reçu pour les 8,500 fr. 4 hectares 25 ares, à raison de 2,000 fr. l'hectare, par exemple, et ces 4 hectares 25 ares vaudraient aujourd'hui, en 1856 , à raison de 4,000 fr. l'hectare, 17,000 francs. On ne comprend pas comment les intimés pourraient s'enrichir aux dépens des appelants , par cette seule raison que leur auteur a fait vendre le bien de sa femme et n'a pas liquidé les droits de ses enfants mineurs. Sous tous les rapports, donc, le prélèvement doit être effectué en immeubles, valeur 1824. — L'appel portait en outre sur un autre point de difficulté.
Au nom des intimés, on répondait : Quelle que soit la nature du prélèvement de la femme sur les effets de la communauté, il est évident que, pour elle, il s'agit purement et simplement de recevoir les deniers qui lui sont propres et qu'elle doit y retrouver à l'aide de son action en reprises ; décider que le mobilier ou les conquêts sont assignés à la femme pour ses reprises à un titre autre qu'un simple mode de libération, c'est méconnaître les principes les plus élémentaires de la communauté et le texte formel de l'art. 1433 C Nap. Ainsi, la seule chose h laquelle la femme a droit dans l'espèce, c'est à la somme de 8,500 fr. à lui payer en argent, mobilier ou immeubles ; or, il est évident que, s'il se trouvait de l'argent dans la communauté, la femme devrait se contenter de cette somme ; elle ne peut avoir plus de droits si le prélèvement a lieu sur des immeubles.
La Cour a confirmé en ces termes :
ARRÊT.
LA COUR ; — En ce qui touche le prélèvement du chef de la femme :
Attendu que le prix des propres de la femme aliéné pendant le mariage, tombe dans la communauté ;
Attendu qu'il n'existait à son profit aucune prorogation, et que des conditions spéciales sont exigées pour le remploi ;
Attendu qu'il n'existe en sa faveur, soit qu'elle accepte la communauté, soit qu'elle y renonce, qu'un droit au prélèvement -ou reprise du prix, aux termes des art. 1433 et 1493 C- Nap. ;
Attendu que ce prélèvement ou reprise s'exerce d'abord sur l'argent comptant, puis sur le mobilier, enfin sur les conquêts de communauté, et à défaut sur les propres du mari ;
Attendu que la condition de la femme ne peut être différente dans le cas où la communauté présente de l'argent comptant, et dans le cas où elle ne possède que des conquêts, que dans l'une et l'autre hypothèse, elle ne peut exiger que le recouvrement du prix de son propre ;
Attendu que tel était incontestablement le droit ancien et qu'il n'apparaît en aucune façon des discussions qui ont préparé le Code Napoléon que le législateur ait eu l'intention de changer ;
Attendu qu'une pratique constante, au moins dans le ressort et jusqu'en 1848, n'a accordé à la femme qu'un simple droit de créance ;
Attendu que le mot prélèvement n'implique pas, pas plus sous te Code Napoléon que sous l'ancienne législation, en faveur de la femme acceptante la propriété à due concurrence des biens qui composent la communauté, ou celle des Liens propres du mari sur lesquels, à défaut du premier, elle peut exercer ses reprises ;
Attendu qu'en supposant même que l'immeuble prélevé par la femme, pour prix de ses reprises, fût censé lui appartenir comme co-partageante et au même titre que le surplus des biens qui lui adviennent par le partage de la communauté proprement dit, la position des représentants de la femme WARGNY ne serait pas changée ; qu'ils ne pourraient opérer le prélèvement qu'à concurrence de 8,500 fr. et sur une portion d'immeubles de cette importance au moment du partage ;
Attendu que, s'il en était autrement et s'il fallait se reporter à la valeur des immeubles au moment de la dissolution, il pourrait en résulter en faveur de la femme, par suite des variations que subit la propriété et du droit de préférence de la femme, des bénéfices considérables au préjudice des co-partageants ;
Attendu que les raisons d'équité qu'invoquent les enfants WARGNY sont sans force ; qu'en effet, au lieu d'an accroissement de valeur, les conquêts auraient pu éprouver une dépréciation, et que, dans ce cas, ils auraient tout avantage à user de leur droit de reprise à concurrence de 8,500 fr. en raison de la valeur actuelle des immeubles ;
En ce qui touche les 800 fr. réclamés pour 11 ares 58 centiares de pré en deux pièces :
Attendu que WARGNY a acquis, par acte authentique du 21 juin 1810, passé devant DEVERCHIN, notaire à Condé, 1° 7 ares 17 centiares 5 dixièmes à prendre dans 2 hectares 29 ares 66 centiares de pré, situés sur Fresnes, à la prairie de la Neuville, tenant ci-devant au duc de CROY et à DUGNOLLE, et 2° 4 ares 30 centiares 5 dixièmes à prendre dans 57 ares 40 centiares de pré, situés aussi sur Fresnes, tenant à la chasse du marais et aux héritiers Catherine DELANNOY ;
Attendu que ces 11 ares 48 centiares paraissent avoir été vendus par WARGNY le 16 mars 1842, avec d'autres biens par acte passé devant Me MENTION, notaire à Condé ;
Attendu, en effet, que, dans le troisième lot du contrat, il est dit posséder 46 ares 89 centiares, tandis que la dame MENTION, sa sœur, qui avait des droits égaux aux siens, sauf l'acquisition de 1810, ne possède que 38 ares 57 centiares ;
Que, dans le quatrième lot, la veuve WARGNY est dit posséder 20 ares 84 centiares, tandis que la dame MENTION ne possède que 16 ares 31 centiares ;
Attendu que ces deux excédants établissent que la pièce de 7 ares 17 centiares a été comprise dans le troisième lot, et celle de 4 ares 30 centiares l'a été dans le quatrième lot ;
Que cela est d'autant plus manifeste qu'il y a identité dans les propriétés-prés sises à Fresnes, l'une à la prairie de la Neuville, tenant au duc de CROY, l'autre à la chasse du marais, tenant aux ayant-droit de Catherine DELANNOY ;
Attendu, au surplus, que l'acquisition de 1810 est constante et qu'il faut que la succession de WARGNY renseigne à la communauté WARGNY-POUTRAIN les 11 ares 48 centiares achetés, ou qu'elle lui tienne compte de leur valeur ;
La Cour, émendant quant à ce, dit que la succession de Jean Louis WARGNY est débitrice envers la communauté WARGNY-POUTRAIN d'une somme de 800 fr. pour prix d'aliénation de 11 ares 48 centiares, avec intérêts tels que de droit ;
Le surplus du jugement sortissant effet ;
Dit que les frais de la cause d'appel seront pris comme frais dé partage et de liquidation ;
Ordonne la restitution de l'amende, etc.
Du 14 février 1856. 2"chamb. Présid., M. DANEL ; avoc.-gén., M. PAUL ; avoc. , Mes TALON et Jules LEROY ; avou. , M" LAVOIX et ROLLAND.