Le receveur de Comines est allé au-delà, à l'instigation du duc ou de sa propre initiative, je ne sais. D'abord en faisant suivre le censier par une description du domaine propre et par une espèce de dénombrement des fiefs et arrière-fiefs tenus de Comines; ensuite, et c'est là l'innovation la plus marquante, en accompagnant ces descriptions d'une soixantaine de plans, transformant ainsi son travail en un véritable cadastre. Ce document sur papier, utilisé jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, sera connu par des mentions ultérieures sous le nom de " cartulaire de 1593 " ou de " carte figurative de 1593.
Les trois parties du cadastre de Comines sont de valeur inégale. Le censier (fos 7 r°-85 V°) est rédigé avec soin, donnant pour chaque bien la description, le nom de l'occupant, les abouts et le montant des redevances dues au seigneur. La deuxième partie (fos 87 r°-102 r°) décrit le domaine propre; elle est visiblement inachevée: les plans sont dessinés et coloriés mais quand la description des propriétés est faite, elle l'est de façon fort concise. La dernière partie (fos 103 r°-152 V°) concerne les fiefs: c'est une mise à jour du dénombrement de la seigneurie de Comines présenté en 1470 accompagné de plans.
Le prince se trouve donc en 1593 face à deux conceptions différentes, l'une classique (Halluin et Poutrains), l'autre novatrice (Comines). Séduit par le travail réalisé pour Comines, il fait dessiner les plans pour Halluin, Poutrains et les autres seigneuries dépendant de cette même recette en les accompagnant d'un résumé de chaque article des censiers, d'une brève description pour le domaine propre et les fiefs. Le tout tient en moins de quarante folios comportant vingt-quatre plans.
Les cahiers des deux cadastres de Comines et de Halluin ont été reliés dès l'époque en un seul volume. Les plans sont dus au géomètre Courtraisien Pierre de Bersacques.
Ainsi pour les Poutrains, sont à la fois disponibles le censier de 1593 et une description de la seigneurie dans son ensemble avec le fief voisin de la Motte réalisée peu après, s'appuyant sur un plan.
* * *
Les 59 articles de la censive des Poutrains amplement décrits en août 1593 retrouvent donc dans le cadastre et les renseignements y sont les mêmes, à deux exceptions près: Jehan du Mortier a cédé (par vente ou par succession) sa maison à Jacques le Febvre et Louyse le Pers a fait de même en faveur de Noël le Mesre avec un terrain. Ces différences minimes tendent à prouver que le cadastre a été rédigé peu après le censier de 1593. Quant à la cense des Poutrains, elle relève du domaine propre du seigneur. il la loue à un fermier, tout comme les terres du fief de la Motte qui voisine les Poutrains. Cinq articles désignent des rues, chemins et place.
Le plan de la seigneurie des Poutrains et du fief de la Motte a été recopie en 1597 dans l'Album de Croÿ consacre aux propriétés du duc Charles de Croÿ situées en Brabant, Flandre, Artois et Namurois. Cette reproduction a été complétée par une vue cavalière de la cense des Poutrains. Sur la vue de Tourcoing dans l'Album de Croÿ couvrant la châtellenie de Lille, la cense et le fief des Poutrains occupent l'avant plan de cette gouache dessinée en 1603.
* * * |
|
|
La seigneurie des Poutrains, tenue de la Salle de Lille, appartint aux sires de l'Eschelles au moins de 1372 à 1447. Elle passa par la suite aux seigneurs de Halluin: ils la possèdent dès 1526 jusqu'au moment où, en mai 1645, elle fut mise en vente par Philippe de Croÿ - Chimay - d'Arenberg, seigneur de Comines et Halluin, et acquise par Philippe-François de Croÿ, duc d'Havré et seigneur de Tourcoing, en même temps que le fief de la Motte, tenu lui de la seigneurie de Tourcoing. |
Cette motte proche du centre urbain de Tourcoing et cette seigneurie avec une autre motte jouxtant la grand-place mériteraient une étude approfondie. Notons simplement que le seigneur des Poutrains bénéficia directement de l' expansion démographique de Tourcoing : en 1526, Georges de Halluin, seigneur de Comines et Halluin, procéda au lotissement de la partie de la cense des Poutrains située le long de la rue de Lille Ces 24 “nouveaux arrentements” occupant 4 bonniers 6 cents lui rapportèrent dorénavant chaque année plus de 111 livres parisis.
Quelques toponymes apparaissent au fil du texte : outre les rues et chemins, voici quelques enseignes d'hôtelleries, comme Le Lion d'Or et Le Cygne.
Au travers de la mutation des terres défilent devant nos yeux plusieurs générations de Tourquennois qui se sont transmis un bien soit par vente et achat, soit par succession. L'historien des familles reconstituera ainsi quelques degrés supplémentaires ou décèlera des mariages successifs Le protestantisme a marqué la région et certains habitants se sont expatriés, surtout en Angleterre, comme Antoine Scrivere et Pierre le Doulx qui sont de Tourcoing, Pierre du Bosquel et Jacques du Bois, tous deux originaires de Lille.
A partir de 1612, la recette des seigneuries de Comines et de Halluin fut confiée à un même receveur qui ne présenta plus qu'un seul compte. Dès lors, de 1612 à 1645, les comptes des Poutrains permettent de suivre le rapport de la seigneurie, dont les neuf dixièmes du revenu provenaient de la location de la cense des Poutrains. Ainsi en 1635, les arrentements anciens apportent 57 s. parisis, le rachat des deux corvées 6 s., les nouveaux arrentements de 1526 111 lb. 15 s., la recette des 18 chapons (à 24s par. la pièce suivant la priserie de Courtrai) 22 lb.6 s. par., la recette des 15 rasières 2 havots 1 quarel de froment (à 12 lb.8 s. par. la rasière suivant la priserie des bailli et échevins des Poutrains) 194 lb. 4 s. par., les droits seigneuriaux liés au transport des biens lors de décès et de vente quelques sous et finalement la location de la cense des Poutrains (soit outre les bâtiments de la ferme un total de 32 bonniers 15 cents 20 verges dont 16 bonniers appartenant au fief de la Motte et 18 cents de pré gisant près du Ham à Halluin) 2408 lb. Par., c'est-à-dire au total 2741 lb. 16 s. parisis ou 1370 lb. 18s. artisiens.
* * *
L'édition de ces documents n'a d'autre but que de préciser la genèse des "cadastres" du duc Charles de Croÿ qui sont à l'origine de la série des Albums L'exploitation de ces documents pour l'histoire de Tourcoing reste à faire, notamment en ce qui touche l'histoire du sol et celle du développement topographique de la ville, éclairée désormais d'un jour nouveau grâce aux travaux d'Alain
Plateaux et aux fouilles de José Barbieux.
La seigneurie et fief des Poutrains
Retour à la page précédente
Sommaire